Tableaux de Morphée
Vitesse.
Ils défilent à une allure folle, enragée, ces paysages qui ne sont plus que des traînées de couleurs peintes par les filaments de ma mémoire. Où vais-je ? Tous les paysages de train se ressemblent. Celui-ci est vert, aspergé de roses, je ne distingue rien d’autre. Par quoi a-t-il été effacé ? Le temps ? L’indifférence ? Il est remplacé par un autre, gris cette fois-ci, je crois distinguer une zone plus lisse, plus brillante, et là un mât, serait-ce le lac, déjà tout est brouillé, déjà le monde tourne, d’une célérité scélérate, étourdissante.
Chaos.
Tout n’est plus qu’une vague striée à la viscosité étouffante. Je lève les yeux vers le haut, la lumière blanche de cette après-midi d’août me frappe de plein fouet, autour de moi les arbres vibrent de façon assourdissante, mes yeux clos s’agitent et frémissent, et soudain la vitesse les éclate.
Mouvement.
Tout est flou, embué. Aucun détail. De gros flocons me troublent la vue, taches grises sur ma rétine déjà fermée au monde réel. Le jardin est enfoui, apaisé, sous ces points blancs obsédants. Tableau de gris calmes. Une émotion naît, légère, presque imperceptible, comme le flocon que je vois descendre vers mon front. Apparaît alors une brindille incandescente, oscillant sous les rafales, avant de disparaître aussi fugacement qu’elle était venue, dans son enveloppe orangée dentelée d’étincelles.
Arrêt sur image.
Mes yeux, objets patients, étaient à jamais ouverts sur l’étendue du paysage qui s’offrait à moi, un lac que les nuages coloraient de gris, une colline pelée et seule, les cailloux que j’avais lancés pendant mon enfance, manchots serrés les uns contre les autres. Enfin, à toute allure, ma bicyclette poussée par le vent passa devant la masse sombre et immobile, l’emportant avec elle. Tout s’effaça.
Alexine Conaut